Chutes et sujets âgés
I. Introduction
Chez les personnes âgées atteintes de cancer, les chutes constituent un problème majeur ; elles sont souvent la conséquence des effets de la maladie et des traitements, qui peuvent notamment entraîner une neuropathie périphérique (Jaggi et Singh, 2012; Tofthagen et al., 2012), une asthénie (Balducci, 2010; Holley, 2002), de la déshydratation et des étourdissements (Hurria et al., 2011), ainsi que de l’ostéoporose causée par la thérapie hormonale (Bylow et al., 2008; Hadji, 2009; Hussain et al., 2010; Poulsen et al., 2019).
Les chutes répétées sont fréquentes chez cette population, avec une prévalence chez les personnes âgées de 65 ans et plus entre 10 et 25 %. Elles surviennent le plus souvent au cours d'activités simples de la vie quotidienne telles que marcher, se lever d’une position assise, ou s’asseoir. Les chutes répétées sont associées à une forte morbi-mortalité accélérant le processus de perte d'indépendance et d'autonomie, et à un taux d'institutionnalisation élevé pouvant atteindre 40 % des personnes.
Les personnes âgées qui tombent ont un risque de blessures de 45 % dont un quart présente une fracture (Sattar et al., 2018; Ward et al., 2014).
Il y a retard ou abandon des traitements du cancer dans 1 cas sur 20 (Sattar et al., 2018).
Les données probantes montrent aussi que les personnes âgées cancéreuses tombent plus souvent que les autres (Spoelstra et al., 2013).
II. 1ère étape : évaluer la gravité de la chute
Rechercher les signes de gravité :
La recherche des signes de gravité est à faire OBLIGATOIREMENT de garde, lors du constat de la chute, et sont liés à différents paramètres (cf tableau ci-dessous).
En pratique :
III. 2ème étape : rechercher les facteurs de risque
Bilan à faire SECONDAIREMENT, en dehors du cadre de l'urgence.
Facteurs prédisposants :
- Age ≥ 80 ans
- Sexe féminin
- Antécédents de fractures traumatiques
- Polymédication (> 4 médicaments) (à partir des dernières ordonnances et en automédication)
- Médicaments à risque :
- Psychotropes (benzodiazépines, hypnotiques, antidépresseurs et neuroleptiques)
- Médicaments cardio-vasculaires : diurétiques, digoxine ou antiarythmique de classe I, hypotenseurs
- Chimiothérapie neurotoxique (Taxane, sels de platine, alcaloïdes, ...)
- Présence d'un trouble de la marche et/ou de l'équilibre (timed up & go test ≥ 20 secondes, la station unipodale < 5 secondes)
- Diminution de la force et/ou de la puissance musculaire des membres inférieurs (capacité à se relever d’une chaise sans l’aide des mains, rechercher une dénutrition)
- Arthrose des membres inférieurs et/ou du rachis (déformations articulaires et/ou des douleurs de caractère mécanique du rachis et/ou des membres inférieurs, raideur des chevilles)
- Anomalie des pieds (déformations des orteils et les durillons, chaussage)
- Troubles de la sensibilité des membres inférieurs (examen au mono filament au niveau de la voûte plantaire, diapason au niveau de la malléole externe de la cheville)
- Baisse de l'acuité visuelle
- Syndrome dépressif (ex : Mini GDS)
- Déclin cognitif (ex : MMSE, test des 5 mots, test de l’horloge)
Facteurs précipitants :
Reconnaître les 3 principales situations à risque de chute grave :
- Ostéoporose avérée (T-score < -2,5 DS à l’ostéodensitométrie et/ou un antécédent de fracture ostéoporotique)
- Prise de médicaments anticoagulants
- Isolement social et familial
Réévaluer la personne dans un délai d’une semaine (si possible) afin de rechercher les signes de gravité apparus à distance :
- Peur de chuter
- Restriction des activités de la vie quotidienne
- Syndrome post-chute : Hypertonie oppositionnelle ou extrapyramidale, rétropulsion, phobie de la station debout
IV. 3ème étape : proposer les interventions capables de prévenir la récidive des chutes et leurs complications
- Correction/traitement des facteurs de risque modifiables (incluant les facteurs environnementaux)
- Révision de l’ordonnance / de la prescription des médicaments (si polymédication et/ou prise des psychotropes ou de médicaments cardiovasculaires à risque)
- Corriger la dénutrition, une baisse de la vision liée à la cataracte, une hypotension orthostatique, un trouble du rythme ou de conduction, une hypoglycémie, des déformations des pieds, traiter une dépression
- Port de chaussures adaptées (à talon large et bas, à semelles fines et fermes avec une tige remontant haut)
- Utilisation d’une aide technique à la marche adaptée au trouble de la marche et/ou de l'équilibre
- Adapter l'environnement : corriger les facteurs de risque de chute environnementaux (éclairage, encombrement du lieu de vie)
- Apport journalier d'au moins 800 UI de vitamine D si carence en vitamine D
- Apport journalier calcique alimentaire compris entre 1 et 1,5 g en l'absence de contre-indication
- En cas d’ostéoporose avérée, débuter un traitement anti-ostéoporotique
- En cas de trouble de la marche et/ou de l'équilibre, il est recommandé de prescrire des séances de kinésithérapie incluant :
- Pratique régulière de la marche et/ou de toute autre activité physique
- Travail de l'équilibre postural statique et dynamique
- Renforcement de la force et de la puissance musculaire des membres inférieur
V. Annexes (Outils de dépistage/questionnaire)
1/ Outils de dépistage/d’évaluation
Le test chronométré du lever de chaise de Mathias (ou Timed Up and Go ou TUG) (Podsiadlo et Richardson, 1991) :
- Ce test évalue globalement la marche et l'équilibre postural dynamique de la personne âgée. Il consiste à mesurer le temps mis pour se lever d’une chaise avec accoudoirs, marcher 3 mètres, faire demi-tour et revenir s’asseoir. Les conditions de réalisation du test sont les suivantes :
- Le sujet doit utiliser ses chaussures habituelles ;
- Il peut se lever en s’aidant éventuellement des accoudoirs ;
- Il doit exécuter le test à une vitesse de déplacement la plus naturelle possible et avec un outil d’aide à la marche s’il l’utilise habituellement ;
- La pièce où le test est réalisé doit être fermée, l’une de ses dimensions doit être supérieure à 3,50 mètres, elle doit être bien éclairée, sans bruit ni stimulations extérieures (autres personnes que l’examinateur, etc.).
- Il existe un risque de chutes si le temps est ≥20 secondes.
La vitesse de marche (Middleton et al., 2015; Studenski et al., 2011)
- Ce test consiste à mesurer le temps requis pour marcher 4 mètres à une vitesse confortable. Il est réalisé sur un parcours de 8 mètres (2 mètres en début de parcours pour atteindre une vitesse constante, 4 mètres de mesure, 2 mètres de fin de parcours afin d’éviter une décélération sur la zone de mesure).
- Il existe un risque de chute si la vitesse de marche est < 0,8 m/s
Le test de transfert assis à debout de 30 secondes (Cho et al., 2012; Ikeda et al., 1991; Jones et al., 1999)
- Ce test permet de mesurer la force fonctionnelle des membres inférieurs. Les participants doivent se lever le plus de fois possible en 30 secondes.
- Normes variables selon l’âge et le sexe.
La brève batterie de tests de condition physique (aussi appelée Short Physical Performance Battery ou SPPB) (Guralnik et al., 1994)
- Ce test permet d’évaluer la performance physique d’un individu.
- C'est la somme des scores sur trois critères : le test d’équilibre, le test de vitesse de marche et le test de lever de chaise.
- Score <8 : risque de sarcopénie
La station unipodale (Vellas et al 2017)
- Ce test évalue l'équilibre postural statique. Il consiste à évaluer la capacité d’une personne à rester debout sur un pied (au choix de la personne) pendant plus de 5 secondes, la position des bras étant laissée libre lors du test.
- Il faut déclencher le chronomètre dès que le pied décolle du sol. L’examinateur doit se placer derrière le sujet, les bras légèrement écartés pour le sécuriser en cas de nécessité.
- Il existe un risque de chute si station unipodale <5 secondes.
2/ Seize questions visant à identifier les conséquences de la chute, la pathologie responsable de la chute et le risque et le terrain à risque de chute grave
Questions portant sur les conséquences de la chute :
- Y a-t-il eu un traumatisme physique ?
- Le séjour au sol a-t-il dépassé une heure ?
- La personne a-t-elle pu se relever seule après la chute ?
- La personne a-t-elle pu se tenir debout sans aide après la chute ?
- La personne a-t-elle peur de faire une nouvelle chute ?
Questions portant sur la pathologie responsable de la chute :
- Y a-t-il eu un malaise et/ou une perte de connaissance au moment de la chute ?
- Y a-t-il eu un déficit neurologique sensitivomoteur constitué ou transitoire ?
- Y a-t-il eu un trouble de la conscience ?
- Y a-t-il eu un vertige (en donnant la définition du vertige au patient : sensation erronée de déplacement rotatoire de l’espace ou du corps dans l’espace) ?
- Y a-t-il eu un état fébrile ou une pathologie infectieuse précédant la chute ?
- Y a-t-il eu prise d'un médicament hypoglycémiant ?
Questions portant sur le risque et le terrain à risque de chute grave :
- Y a-t-il eu une augmentation de la fréquence des chutes ces dernières semaines ?
- La personne a-t-elle une ostéoporose sévère ?
- La personne prend-elle un (ou des) médicament(s) anticoagulant(s) ?
- La personne vit-elle seule ?
- La personne a-t-elle des aides à domicile ?
VI. Traçabilité à Gustave Roussy
Ce paragraphe est destiné aux personnes exerçant à Gustave Roussy.
VII. Bibliographie
https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c 1525705/fr/avis-de-la-has-concernant-l-evaluation-du-risque-de-chutes-chez-le-sujet-age-autonome-et-sa-prevention
Balducci L. Anemia, fatigue and aging. Transfusion Clinique et Biologique. 2010;17(5–6):375–381.
Bylow K, Dale W, Mustian K, Stadler WM. Falls and physical performance deficits in older patients with prostate cancer Undergoing Androgen Deprivation Therapy. Urology. 2008;72(2):422–427. DOI : 10.1016/j.urology.2008.03.032.
Cho KH, Bok SK, Kim Y-J, Hwang SL. Effect of lower limb strength on falls and balance of the elderly. Annals of Rehabilitation Medicine. 2012;36(3):386.
Guralnik JM, Simonsick EM, Ferrucci L, Glynn RJ, Berkman LF, Blazer DG, Scherr PA, Wallace RB. A short physical performance battery assessing lower extremity function: Association with self-reported disability and prediction of mortality and nursing home admission. Journal of Gerontology. 1994;49(2):M85–M94.
Hadji P. Aromatase inhibitor-associated bone loss in breast cancer patients is distinct from postmenopausal osteoporosis. Critical Reviews in Oncology/Hematology. 2009;69(1):73–82.
Holley S. A look at the problem of falls among people with cancer. Clinical Journal of Oncology Nursing. 2002;6(4):193.
Hurria A, Wildes T, Baumgartner J. NCCN Clinical Practice Guidelines in Oncology: Older Adult Oncology Version 22015 n.d
Hussain S, Breunis H, Timilshina N, Alibhai SMH. Falls in men on androgen deprivation therapy for prostate cancer. Journal of Geriatric Oncology. 2010;1(1):32–39.
Ikeda ER, Schenkman ML, Riley PO, Hodge WA. Influence of age on dynamics of rising from a chair. Physical Therapy. 1991;71(6):473–481.
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Podsiadlo D, Richardson S. The timed “Up & Go”: A test of basic functional mobility for frail elderly persons. Journal of the American Geriatrics Society. 1991;39(2):142–148
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Tofthagen C, Overcash J, Kip K. Falls in persons with chemotherapy-induced peripheral neuropathy. Supportive Care in Cancer. 2012;20(3):583–589. DOI : 10.1007/s00520-011-1127-7.
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Céline LAZAROVICI-NAGERA - Maxime FRELAUT - GUSTAVE ROUSSY - Mise à jour en janvier 2025